Nombreux sont les citoyens qui se posent des questions quant à la police et à notre système judiciaire. Criminalité en hausse, tribunaux noyés, partis populistes qui dénoncent l’impunité,… de toute part les questions fusent. Malheureusement, la réponse est d’une triste uniformité, plus de sécurité, plus de policiers, plus de caméras,… comme si plus d’armes et de matraques faisaient baisser la violence d’une société.

 Il suffit de comparer la Suède à la France ou à la Belgique, les Etats-Unis aux Canada, … pour réaliser que la militarisation de la société ne règle rien. Ainsi les États-Unis comptent aujourd’hui le plus grand nombre de prisonniers au monde. En 2008, les États-Unis avaient 2,3 millions de détenus derrière les barreaux, 762 personnes pour 100.000 résidents. Contre 152 détenus pour 100.000 habitants en Grande-Bretagne, 108 au Canada, ou encore aux 91 détenus pour 100.000 habitants en France[i]. Malgré ce chiffre affolant, les Etats-Unis sont un des pays les plus violents de la planète. Ce pays compte, pour l’année 2008, 5,4 homicides pour 100 000 personnes. Pour cette même année, on a, en France 1,59 homicides pour 100.000 habitants, en Grande Bretagne (2002) 2,03[ii], et en Belgique, 1,49[iii]. Cela met bien en avant que le lien entre le tout sécuritaire, la fameuse tolérance zéro mise en avant par le leaders européens comme l’exemple à suivre outre atlantique, est un écran de fumée, ne permettant pas de faire diminuer la délinquance.

Il est plus probable qu’un lien entre la violence et l’inégalité permetrait d’expliquer les différences entre ces pays. Si on jette un coup d’œil au coefficients de GINI[iv] pour ces pays, on constate que les pays qui affichent un niveau de violence faible sont ceux qui ont une répartition des revenus plus égalitaire. Ainsi, la Belgique a un coefficient de gini de 0,330, la France de 0,327 et le Royaume-Uni de 0,360. Les Etats-Unis, par contre, affichent un coefficient de gini de 0,408[v] (ce qui les met dans la même catégorie que le Mexique ou bon nombre de pays du tiers monde). Il nous semble donc que la question de la violence et de la criminalité est une question sociale bien plus qu’un question sécuritaire.

A partir de ce constat, nous estimons qu’il est grand temps que les bonnes questions soient posées sur comment combattre la violence et le crime et sur le rôle et l’efficacité de la police dans ce cadre. Il est surtout urgent de briser le tabou laissant aux apôtres de l’Etat policier le haut du pavé quant aux questions de délinquance, de sécurité et de police. La sécurité est un droit humain fondamental et les citoyens sont en droit d’exiger que l’on leur fournisse le service le plus approprié en la matière.

Il est important de souligner que la réflexion qui est menée dans les pages qui suivent n’est pas un jugement sur les individus qui constituent notre police. Nous sommes convaincus que la majorité d’entre eux ont à cœur de faire leur métier correctement et dans le respect de la loi et du citoyen. Ceci étant dit, la question qui nous occupera dans ces lignes est de savoir si l’institution policière est la meilleure réponse aux problèmes qu’elle est sensée aborder. En effet, tous les partis politiques répondent (avec des accents variables) que face à l’augmentation de la violence il faut plus de police, d’armes, de surveillance,… mais personne ne se demande jamais si c’est la seule et la meilleure solution. Nous avons donc décidé de poser la question ici.

Pour commencer l’exposé nous pouvons déjà souligner que la Belgique est un pays relativement fort fliqué. En 2009, il y avait 48 850 personnes réparties sur 196 zones travaillant dans la police. En moyenne, on parle donc d’un policier pour 331 habitants en Belgique[vi]. Un peu moins en Wallonie, un peu plus en Flandre. A Bruxelles, le nombre d’agents est significativement plus élevé. On parle de un agent pour 219 habitants[vii].

Ce chiffre est-il élevé ? Très ! Il fait de la Belgique un membre du top 20 des pays les plus policés du monde[viii]. En effet, le USA, pas exactement le pays le plus libre et le plus doux du point de vue sécuritaire, s’en tirent avec 216 agents pour 100 000 habitants contre 359 pour la Belgique (40% de plus !!!). En Europe occidentale, seul l’Espagne et l’Italie affichent des taux plus élevés. On peut dors et déjà affirmer que la Belgique dispose d’énormément de policiers.

Quel coût pour la sécurité ?

Le système répressif, car c’est ce qu’il est – il réprime le crime[ix] –, coute très cher et le citoyen est en droit de savoir si cette argent est utilisé intelligement et dans son intérêt. Ainsi, les services de police belges coutent un peu moins de 3 milliards d’euros par an à la population belge[x]. Il faut noter que ce chiffre ne tient pas compte de dépenses pour le système judiciaire sous financé et complètement noyé (un peu plus de 1,7 milliards[xi]). Nous n’avons pas non plus comptabilisé les dépenses faites pour le système carcéral (300 millions rien que pour la mise à jour de la « capacité d’accueil » de nos prisons[xii]) dont l’efficacité en tant que peine est de plus en plus questionnée et dont on sait l’état de délabrement. En d’autres termes, rien que pour la première ligne de l’appareil sécuritaire, nous dépensons plus de 300 € par habitant par an. Si Victor Hugo disait que ouvrir une école, c’est fermer une prison, nous dirions ici qu’on a du fermer pas mal d’écoles.

Pour prendre un exemple concret, examinons d’un peu plus près le cas bruxellois. Plus de 10’000 policiers, pour une population de plus d’un million à laquelle il faut ajouter selon POLBRU elle-même, les touristes et les navetteurs qui amènent le total à deux millions de personnes « à contrôler ». On l’a vu, le nombre de policiers par habitant dans la capitale est très supérieur à la moyenne nationale ce qui se justifie, selon les responsables, par l’aspect de capitale et le statu internantional de Bruxelles. Le budget 2011 de la zone de police Bruxelles capitale Ixelles reprend ainsi 104 sommets européens, 560 « manifestations revendicatives » ainsi qu’un grand nombre d’évènements sportifs, culturels et « protocolaires »[xiii]. On peut donc déjà constater que, bien qu’elle en parle, la police ne justifie pas son budget par la « criminalité bruxelloise ». En effet, le budget semble se justifier plutot par des évènements politiques et des manifestations que par la criminalité. La police elle indique que ce budget doit permettre d’ « améliorer le service au citoyen » et d’intensifier le recrutement. Ce dernier doit se centrer sur le recrutement de policiers issus de la région bruxelloise. Nous saluons tristement la prise de conscience tardive par la police que remplir sa mission officielle demande une connaissance de la région et de sa réalité socio-économique. Nous nous faisons peu d’illusions sur l’approfondissement de cette réflexion qui amènerait la police à constater que ce travail « de proximité » serait mieux rempli par des assistants sociaux que par des hommes en armes. La police préfère pourtant mettre les intervenants sous pression afin de les amener à rompre le secret professionnel plutot que d’écouter ce qu’ils ont à dire sur la ville et sa population..

Le budget de la police est de 367,2 millions d’euros à Bruxelles (19 communes) soit 358€/hab/an[xiv]. Il faut noter que ce budget est sensiblement plus important que la moyenne nationale (200€/hab/an). Par comparaison, le budget des CPAS bruxellois est de 758,4 millions d’euros en 2008. Cela représente à peu près 700€/hab mais il faut retrancher de ce chiffre les transferts de redistribution (les paiements en argent faits par le CPAS) afin d’obtenir un chiffre comparable. Ces dépenses représentent 48% du budget total du CPAS bruxellois. On obtient alors un coût de 370€/hab pour le CPAS[xv]. On peut dés lors se demander si les besoins sécuritaires sont les mêmes que ceux de l’action sociale : formations,  aide aux familles, maison de repos, …

Nous constatons donc déjà que l’institution policière coûte cher. Mais est-ce qu’elle est efficace ? On questionne souvent le CPAS, malgré une efficacité sociale et une plus value économique, sociale et humaine maintes fois démontrée. Par contre, la question de l’efficacité de notre police semble ne pas intéresser grand monde. Pour tout dire, même la police semble ne pas s’y intéresser[xvi].

L’appareil sécuritaire est-il efficace pour remplir sa mission?

Le citoyen souffre tous les jours de son contact avec la police : ils arrivent trop tard, corruption, escalade d’une situation qui se serait réglée d’elle-même sans la police, amendes et autres frustrations inutiles de travailleurs et de citoyens honnêtes. Toutefois, malgré cette méfiance, la plupart des gens restent convaincus que la police est un mal nécessaire. Le problème n’est donc pas la police mais ses dérives : le racisme, la corruption, la violence. Notre argument est qu’en réalité la police n’est pas capable de combattre la criminalité et qu’en fait ce n’est pas ce qu’on lui demande.

Nous pouvons commencer par avancer que la plupart des enquêtes et des études sur la criminalité mettent en évidence que les causes de la criminalité sont sociales[xvii]. Ce fait n’est même pas nié par les policiers eux-mêmes. En effet, le vol, l’agression, la violence sont d’abord des conséquences de la pauvreté, de l’inégalité et des frustrations qui en découlent.

On peut déjà mette deux arguments en avant. Le premier est que, dans cette optique, la police n’est qu’un emplâtre sur une jambe de bois. En effet, la police, en réprimant les pauvres, en ajoutant à la difficulté de vivre dans un quartier difficile, non seulement ne combat pas la criminalité mais renforce les sentiments de colère et d’exclusion qui en sont la cause.

Un exemple de cette inefficacité est le cas de figure bien connu des habitants des quelques tours HLM de logements sociaux de Bruxelles : Les habitants appellent la police car des jeunes squattent le hall de la tour, dégradent le logement et s’en servent comme point de vente pour le trafic de stupéfiants. La police, lorsqu’elle arrive sur place, ne cherche pas à régler les problèmes causés par la présence des jeunes. Ils savent que, de toute façon, ils seront à peine partis que les jeunes seront remplacés par d’autres, à la recherche d’un endroit au chaud pour passer le temps. Les autres loisirs sont trop chers et hors de portée. Ou pire les dealers, les vrais criminels, remplacent leurs travailleurs par d’autres afin d’assurer la continuité du service. Non, la police préfère interroger les jeunes sur les habitudes de vie des habitants du HLM… ces derniers n’appellent plus la police.

Mais même là où la police intervient, dans les conflits de violence interpersonnelles ou d’attaques contre la propriété privée, son action est extrêmement limitée voire parfaitement inutile. Qui a déjà récupéré son vélo, sa voiture, etc. après un vol ? Combien de biens volés sont retrouvés, combien d’agresseurs sont arrêtés ? En général, c’est le policier qui prend votre déposition qui vous dit gentiment qu’il vaut mieux acheter un nouveau vélo…

On pourrait penser qu’en mettant plus de policiers dans les rues on règlerait ce problème, c’est d’ailleurs ce que la plupart des partis populistes de droite avancent (PP, VB ou N-VA). Pourtant, on imagine le coût nécessaire pour mettre un policier à chaque coin de rue ! En outre, nous avons déjà indiqué que cela ne règle rien… Malheureusement, la police fédérale ne publie pas de chiffres sur la résolution des affaires. Son rapport d’activité est un collection d’arrestations sporadiques sans aucune vue d’ensemble (12kg de cocaïne saisis, 8 cambrioleurs arrêtés,…), ce qui renforce le sentiment que ces « coups de filets » sont le plus souvent dus au hasard[xviii] et que même lorsqu’il ne le sont pas, ils ne représentent qu’une toute petite fraction des crimes commis. Toutefois les chiffres venant de l’étranger permettent de se faire une idée.

On constate ainsi que la police ne résoud qu’une toute petite fraction des cambriolages, des vols et des agressions qu’elle enregistre. Son rôle dans ce cadre se limite assez bien à celui d’un bureau d’enregistrement de statistiques de la criminalité. Les pourcentages d’affaires résolues parlent d’eux mêmes : 10% des vols avec effraction, 8% des vols de voitures pour la police du Québec[xix], à peine 15% des vols en France pour un taux d’élucidation global de 37%[xx] (taux considéré comme artificiellement gonflé).

Reste alors le sentiment d’insécurité. Hollywood et les médias ont garanti que tout un chacun craigne pour sa vie lorsqu’il se promène seul en rue. L’effet du faux JT de la RTBF annonçant la déclaration d’indépendance de la Flandre est là pour démontrer l’effet des médias sur la perception de la réalité par la population. Pourtant, notre société est moins violente qu’auparavant. Quant au rôle de la police, les statistiques montrent clairement l’immense majorité des viols[xxi], des assassinats et des meurtres sont causés par des proches, voir par des membres de la famille de la victime. Pour les hommes, une étude anglaise indique que dans 65% des homicides l’auteur était connu de la victime. Dans le cas des femmes, prés de la moitié homicides sont le fait de l’époux ou du compagnon[xxii]… Dans ces situations, la police se contente de prendre le nom de son coupable, les dépositions de tout le monde et l’affaire est pliée. Les taux d’élucidation sont d’ailleurs bien meilleurs (mais loin d’être parfaits) dans ces cas là. On comprend mieux la réticence de la police belge à publier des statistiques d’élucidation[xxiii]

Ce constat correspond bien à la réalité de la police contemporaine. En effet, aucun des grands crimes contre les populations de Belgique et d’ailleurs, ne sont réglés par l’action de la police. La police empêche-t-elle la pollution causée par des entreprises peu scrupuleuses, les accidents mortels de la route ou du chemin de fer causés par des chauffeurs épuisés ou parce que l’entreprise n’a pas voulu « perdre de l’argent » dans les équipements de sécurité indispensables,… ? La police défend-t-elle les travailleurs d’Arcelor-Mittal lorsque cette entreprise largement profitable jette des milliers de travailleurs à la misère ? Non, au contraire elle protège les « pauvres patrons », leur déconseillant de s’approcher des dangereux travailleurs! Encore récemment, lorsqu’une milice illégale s’en est pris viollement à des travailleurs en grève à Sprimont, la police à escorté la milice hors de l’entreprise, l’a accompagné pour récupérer son matériel avant de les reconduire gentillement à la frontière avec l’Allemagne sans même controller leur identité. Quiconque à déjà eu affaire à la police dans n’importe quel contexte, sait qu’il s’agit là d’un traitement de faveur. La police combat-elle les coupes dans les budgets sociaux, dans l’enseignement, les soins de santé, les lourdeurs administratives empêchant les travailleurs sociaux de faire leur travail, c’est-à-dire la police défend-t-elle les seuls outils capables de combattre réellement la criminalité? La réponse est bien évidemment non. On nous répondra que ce n’est pas le rôle de la police, d’ailleurs la plupart des faits cités ci-dessus ne sont même pas considérés comme des crimes. Nous pensions pourtant que son rôle était de protéger et de servir les citoyens…

Le deuxième argument est plus général. En effet, dans la mesure où nous vivons dans un système basé sur l’idée même d’inégalité et donc de l’existence de riches et de pauvres, de possédants et de possédés, la criminalité est un produit dérivé et inévitable de ce système. Dans cette optique, la police n’est rien d’autre que l’aspirine qui sert à rendre supportable le mal de tête plutôt que de s’attaquer à la tumeur qui le cause. Le rôle de la police n’est donc pas de combattre la criminalité mais de la rendre moins visible dans le meilleur des cas, dans le pire, elle ne sert qu’à nourrir l’illusion que l’on fait quelque chose. Une autre anecdote illustre bien cette réalité. Il n’y a pas si longtemps, la place Emile Danco à Uccle était un endroit dangereux, des jeunes désoeuvrés y trainaient avec leurs Pitbulls, accompagnés des inévitables dealers de drogue et autres petites frappes qui suivent la misère partout où elle va. Une fille y a même été violée. Terrorisés les habitants ont fait appel à la commune qui a multiplié les patrouilles. Résultat, les jeunes sont partis trainer ailleurs et la place est redevenu viable. Problème réglé ? Bien sûr que non, les jeunes trainent ailleurs, peut-être dans un quartier « moins important » au yeux du pouvoir. Mais la réalité est qu’on a fait que déplacer le problème.

La police elle-même est frustrée de l’inefficacité de son propre travail. On voit ou entend régulièrement des fonctionnaires exprimer leur irritation ou simplement leur fatalisme. « on les relâche tout de suite,… ». Les frustrations accumulées dans un travail difficile et au bout du compte totalement inefficace génèrent les comportements agressifs, racistes voire carrément corrompus. On peut craindre que ce soit la nature même de notre système policier qui génère ce que l’on peut donc plus appeler des bavures. La police et la droite répondent qu’il faut des peines plus sévères et des tribunaux plus expéditifs. La gauche ne vaut pas mieux, Laurette Onkelinx appelait encore récemment à utiliser l’armée dans les quartiers[xxiv]. La Belgique a connu, à délinquance égale (voire réduite), une augmentation de 76% de sa population carcérale et est un des pays d’Europe occidentale avec le taux d’incarcération les plus élevés[xxv]. Problème d’autant plus grave que la majorité de la population carcérale est en détention préventive, ce qui en dit long sur l’Etat du système judiciaire.

Mais la prison est-elle une solution ? Le système carcéral est de toute façon surpeuplé et dans un état lamentable. Il coûte très cher et son efficacité est très contestée. Pour reprendre les mots de Benjamine Bovy, jeune et brillante avocate pénaliste, « Il n’est aucune circonstance atténuante qui puisse être retenue en faveur de la prison. Aucun service qu’elle ne rende qui justifie les atrocités qu’elle cache en son sein. Il faut constater l’échec patent du système et ne faire preuve d’aucune clémence à son égard. Aujourd’hui, c’est le bourreau que je vous demande de condamner.»[xxvi]. Nos prisons sont des établissements dans un état lamentable, les gens y pourrissent littéralement faute d’hygiène adéquate et de soins minimum[xxvii]. Le droit, celui qui justifie pourtant leur privation de liberté (quel doux euphémisme), n’y a pas cours seul l’arbitraire y règne en maître. Nos prisons valent guerre mieux que celles de Kadhafi[xxviii]. La surpopulation (de notoriété publique) dans ces conditions contraint un personnel en sous effectif à recours à tous les moyens pour gérer une situation ingérable. Et c’est ici que les choses deviennent vraiment surréalistes. Cette surpopulation ne vient absolument pas d’une augmentation de la criminalité, mais d’une vision de plus en plus coercitive de la justice.

On enferme plus, plus souvent et pour des faits de moins en moins graves. On recours massivement à la détention préventive, c’est-à-dire sans condamnation, parfois pendant des années. Le citoyen le voudrait ? Peut-être. Il nous semble surtout que ce que le citoyen veut c’est une société plus sure, harmonieuse où la criminalité serait contrôlée. Or, il ne faut pas être docteur en criminologie pour savoir qu’aujourd’hui les petits délinquants des quartiers populaires vont en prison comme les riches vont à l’université, c’est devenu un rite de passage. Pourtant la prison à l’origine servait à éloigner de la société les individus dangereux et irrécupérables : assassins, violeurs, pédophiles,… Celui qui vole, celui qui frappe parce qu’il vient de la rue et que là c’est comme ça qu’on règle les affaires, n’a rien a y faire. Une fois de plus, il faut poser la question : la prison ramène-t-elle le criminel sur le droit chemin ? En d’autres termes, l’institution publique qui coute si cher au citoyen, remplit-elle son role. Pour citer à nouveau le réquisitoire brillant de Me Bovy :

« Le détenu ne répare rien. Mis au ban de la société, sans aucun contact avec la victime, quand il y en a une, il est privé de toute possibilité de réparation concrète. De surcroît, le salaire ridicule qu’il perçoit quand il a la chance d’avoir un travail en prison ne permet que difficilement une compensation financière. Sort-il réhabilité de l’enfermement? Réhabiliter signifie : « faire recouvrer l’estime, la considération ». Le fait d’avoir connu la prison fait-il gagner à nouveau l’estime des autres? Rien n’est moins sûr. On ne retient pas qu’un homme a « payé » pour ce qu’il a fait, on ne se souvient que du délit qu’il a commis. La prison stigmatise, ne fût-ce que par le casier judiciaire. Elle marque l’ex-détenu d’une croix sur le torse qui rappelle à tous qu’un jour cet homme a commis des erreurs. Comme le disait un de ceux-là avec beaucoup de lucidité : « On ne sort pas de prison, on sort avec elle » »[xxix]

La réponse est sans appel, au-delà de ses travers classiques : remplissage de carnet d’adresses et échange de techniques, la prison exclut plus encore celui qui ne trouvait déjà pas sa place dans la société. Les quelques uns qui s’en sortent y arrivent avec beaucoup de courage, de sueur, de larmes et surtout une bonne dose de chance. Ils y arrivent malgré le système carcéral surement pas grâce à lui. Il nous semble donc clair que la prison plus rapideet plus fréquente, la solution prônée par nos responsables politiques de tout bord, ne ferait que renforcer le problème puisqu’il apparaît assez clairement qu’on sort de prison plus criminel que quand on y est entré.

Jusqu’ici nous avons donc montré que la police ne résoud pas les causes fondamentales de la criminalité et se révèle en réalité incapable de les confronter. Nous affirmons que la police réussit tout au plus à confiner la criminalité dans certains quartiers. Nous avons montré aussi que la police, et nous rappelons qu’il s’agit de l’institution et non pas des policiers, n’est pas seule et que la prison aussi mérite d’être remise en question. En bref, c’est toute la logique du système répressif qu’il faut revoir, de la police à la prison en passant par les cours et tribunaux. En effet, il apparaît que ce système ne remplit absolument pas le contrat qu’il a conclut avec la société. Il coute cher, est désagréable mais il serait utile… Nous nous permettons d’en douter.

Face à ces chiffres, on est clairement en droit de se poser la question de savoir si la police est vraiment là pour combattre la criminalité et l’insécurité. La question se pose mais à quoi sert la police ??? Là où la police est efficace c’est dans la défense du pouvoir, pour briser les piquets de grève[xxx] ou isoler les « radicaux » dans les manifestations[xxxi]. Nous ne sommes pas les seuls à tirer cette conclusion. Ainsi lors du premier volet d’attaques et de coupes budgétaires du gouvernement Cameron, la police britannique voyait ses budgets réduits avec les autres departements du secteur public. La police fait alors remarquer au gouvernement que: « dans un contexte de coupes généralisées dans le secteur public, nous faisons face à la possibilité très concrète de l’augmentation du mécontentement ainsi que des tensions industrielles et sociales. Nous avons donc besoin d’un service de police fort, confiant, bien entrainé et équipé dans lequel le moral est élevé et qui est confiant dans la valeur que le gouvernement et le public lui accordent« [xxxii]. En Belgique, la récente affectation de 30 millions à la police bruxelloise pour les sommets européens  met bien en avant que l’endroit où le pouvoir considère que la police est la plus efficace c’est dans la lutte contre l’agitation sociale. La façon dont la police (et la justice) a traité le No border camp, l’euromanifestation du 29 septembre 2011 ou plus récemment l’affaire de Sprimont confirme pour nous cette hypothèse.

Nous pensons que le rôle social de l’institution policière est la défense de l’ordre établi et le maintien en l’état de la structure sociale et hiérarchique de notre société. La lutte contre le crime n’étant qu’une façade. Bien que des pistes existent pour mettre objectivement ce fait en avant nous n’avons pas à ce stade les moyens de mettre en avant des chiffres objectifs démontrant nos propos.

Que faire ?

La réponse facile et évidente à cette question est que tant qu’on maintiendra artificiellement en vie un système intrinsèquement basé sur l’exploitation et l’inégalité, la criminalité restera un problème. Il apparaît donc que la solution, la vraie, au problème du crime c’est d’abord et avant tout l’émancipation de tous les « damnés de la terre ». Malgré la reprise des luttes en ce début de siècle, il apparaît que la majorité de la population ne soit pas encore acquise à cet objectif.

A plus court terme, il apparaît que la revendication légitime d’une société pacifiée et harmonieuse ne peut être rencontrée que si la lutte contre la criminalité prend en compte sa nature et ses causes réelles. Ceci ne peut se faire que par la réappropriation de la question de la sécurité par la population. Les attaques violentes de la police doivent être sévèrement punis sous le contrôle réel et direct de la population. Si le tout est soutenu par une politique sociale ambitieuse qui se donne les moyens de ses objectifs, il y a fort à parier que les organisations criminelles auront beaucoup plus de mal à trouver de la main d’œuvre dans des quartiers harmonieux faits de travailleurs, de jeunes avec un avenir et une éducation que dans les zones d’exclusion et de racisme journalier qu’ils sont aujourd’hui.

De toute façon, après cet exposé il nous apparait évident que la politique du fétichisme de la matraque et de la surveillance est non seulement pas une solution mais en réalité une élément essentiel du problème. Le tout sécuritaire est d’abord un symptôme de la politique spectacle et de la déroute des classes dirigeantes face à la crise. Nous disons STOP!




[i] « 2,3 millions de détenus aux USA (HRW) », Le Figaro, 06/06/2008

[ii] Eighth United Nations survey of crime trends and operations of criminal justice systems, coveringthe period 2001 – 2002, United Nations Office on drugs and crime division for policy analysis and public affairs.

[iii] Politiële criminaliteitsstatistieken, 2000–2008, CGOP – Beleidsgegevens, p. 78.

[iv] Coefficient qui mesure l’inégalité dans un pays. Plus le coefficient est proche de 1 plus le pays est inégalitaire et inversément plus i lest proche de 0 plus le pays à un structure de revenus égalitaire.

[v] UNDP, Human development report 2007/2008

[vi] A. CACI, Etat de la question. Financement des zones de police: un enjeu pour la démocratie au niveau des communes, IEV, septembre 2009, p. 3.

[vii] B. CLERFAYT, “La police à Bruxelles,organisation, coût, efficacité, Une analyse comparée des grandes villes belges, janvier 2011 », p. 13

[viii]UNODC crime and criminal justice statistics, chiffres de 2008, classement dans les pays pour lesquels les statistiques sont disponibles. http://www.unodc.org/unodc/en/data-and-analysis/crimedata.html (consulté le 3/10/2011)

[ix] et pas seulement le crime malheureusement.

[x] A. CACI, Etat de la question. Financement des zones de police: un enjeu pour la démocratie au niveau des communes, IEV, septembre 2009, p4.

[xi] http://www.stefaandeclerck.be/fr/justitie/248 (consulté le 22/11/11)

[xii] Observatoire International des Prisons – section Belgique, Démystifions la prison : davantage un problème qu’une solution, OIPbelgique.be, le 16/01/2012

[xiii] ZONE DE POLICE BRUXELLES-CAPITALE IXELLES, Dossier de presse: budget 2011.

[xiv] A. CACI, opus citem, p4

[xv] DEXIA, “communiqué de presse: Etude Dexia : Analyse des finances des CPAS bruxellois », 16/12/2008

[xvi] Voir document en annexe

[xvii] Dans « The effect of police on crime, disorder and victim precaution. Evidence from a Dutchvictimization survey », International Review of Law and Economics, 29 (2009), 336–348, BenVollaarda, Pierre Koning démontrent même un effet négatif de la police sur le niveau de criminalité.

Pour la Belgique voir les études de Marc d’hooghe : Tuba Bircan and Marc Hooghe, « Immigration, diversity and crime: an analysis of Belgian national crime statistics, 2001-6 », European Journal of Criminology , n° 8 (3), 2011, 198 -212 et Marc Hooghe, « Cohésion sociale en Belgique : quelles données, quels indicateurs, quels projets ? », Première conférence méthodologique de l’IWEPS, Beez, 27 novembre 2009.

[xviii] http://www.lavenir.net/article/detail.aspx?articleid=DMF20111110_00074700

[xix] Ministère de la sécurité publique, « Un taux de solution élevé est-il garant de la performance d’un corps de police? », bulletin d’information, Février 2007, p.2

[xx] http://www.liberation.fr/societe/0101575420-les-gadgets-de-l-inspecteur-estrosi

[xxi] http://www.criminologie.com/article/viol

[xxii] A. FARELL,  Crime, class & corruption. The politics of the police, Bookmarks, Londres, 1993, p.14

[xxiii] Voir document repris en annexes

[xxiv] http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_laurette-onkelinx-evoque-un-renfort-militaire-dans-le-reseau-stib?id=5648933

[xxv] Observatoire International des Prisons – section Belgique, Démystifions la prison : davantage un problème qu’une solution, OIPbelgique.be, le 16/01/2012

[xxvi] B. BOVY, Séance solennelle de rentrée du 22 janvier 2010, Au bout de nos peines, « Journal des Tribunaux », 23 Janvier 2010, 129e année, n°4, p. 50.

[xxvii] Voir à ce titre les notices de l’observatoire international des prisons (OIP) – section belge. La liste des horreurs est longue.

[xxviii] Les quelques tentatives en 2005 et 2007 d’instaurer un statut juridique au détenu ont lamentablement échoués ou été vidées de leur substance.

[xxix] B. BOVY, opus citem, p. 52

[xxx] http://trends.levif.be/economie/belga-economie/dow-corning-seneffe-un-huissier-et-la-police -au-piquet-de-greve-d-uti-logistics/article-1195020087152.htm (à titre d’illustration mais les exemples sont légion)

[xxxi] Dietrich Muylaert, « Infiltratie bij activisten in strijd tegen ‘radicalisme’ », dewereldmorgen.be (consulté le 22/10/2011).

[xxxii] http://www.guardian.co.uk/uk/2010/sep/13/police-take-care-cuts-protests